27.04.23
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« Les Trois Nymphes de la prairie », 1930-1937, bronze, épreuve d’artiste, 157 x 144 x 78 cm, Fondation Dina Vierny – Musée Maillol © Fondation Dina Vierny – Musée Maillol
« Les Trois Nymphes de la prairie » en cours de restauration – © Quentin Croisard
Maillol dans les années 1930
Depuis la mort d’Auguste Rodin en 1917, Aristide Maillol était le sculpteur le plus important sur la scène artistique européenne. Le 8 décembre 1931, l’artiste fêtait ses soixante-dix ans et entamait une décennie fastueuse. Deux monuments de sa main sont inaugurés : celui à la mémoire de Debussy à Saint-Germain-en-Laye et celui en hommage aux morts de la Première Guerre mondiale à Banyuls. Deux expositions lui sont consacrées à New York et à Bâle en 1933.
Et tandis que l’Exposition universelle de 1937 se préparait, l’État lui commanda la monumentale sculpture La Montagne qui devait être placée sur l’esplanade du tout nouveau Musée National d’Art Moderne. La ville de Paris lui commanda, quant à elle, une version en marbre – matériau noble – de sa Pomone pour la coquette somme de 200 000 francs – une des plus chères que la municipalité ait consenti pour l’achat d’une sculpture.
En France, la critique commentait : « Ne verrons-nous pas à Paris […] une exposition d’ensemble d’Aristide Maillol ? ».
Mais à cette époque, les musées nationaux ne consacrent généralement des rétrospectives qu’aux artistes après leur disparition. Aussi, les organisateurs de l’exposition « Les Maîtres de l’art indépendant » qui doit se tenir entre mai et octobre 1937, décidèrent de rendre hommage à Maillol en lui accordant trois salles où seront exposées soixante-et-une œuvres, faisant du sculpteur l’artiste le plus représenté de toute l’exposition, à égalité avec Matisse.
Pour honorer l’ambition que porte cet évènement, Maillol décida de relever un défi inédit dans son œuvre : réaliser une composition à trois figures. Jusqu’alors, l’artiste n’avait pas été un sculpteur de groupes, et il lui fallut sept ans de travail pour aboutir à cette œuvre ambitieuse.
Du monument d’André Chénier aux Trois Nymphes de la prairie
A l’origine, Maillol pensa cette composition à plusieurs figures féminines dans le cadre de la réalisation d’un monument en hommage au révolutionnaire et homme de lettres André Chénier pour la ville de Carcassonne.
Selon Jean Girou, c’est à la lecture de ces vers de Chénier que Maillol trouva son motif pour honorer le poète : « C’était quand le printemps a reverdi les prés / La Fille de Lycus, vierge aux cheveux dorés, / Dans les monts Athéens, non loin de Cérynée ». Le sculpteur imagina alors son groupe : « Je vois des jeunes adolescentes dans un hommage ardent et dans une fraîcheur naïve ».
Si la disposition de trois figures féminines peut rappeler l’iconographie classique des Trois Grâces, Maillol, attentif à la plastique des corps, estimait qu’elles étaient trop « puissantes pour [les] représenter ». Après avoir hésité avec le titre « Les Prairies en fleurs », il préféra « Les Nymphes », chacune des jeunes filles devenant l’incarnation de la fleur dont elle est couronnée, la pâquerette, la renoncule et la marjolaine.
A cette tradition classique, Maillol apporta des éléments de la modernité du XXème siècle. Dans Les Trois Nymphes de la prairie, il retira l’accessoire anecdotique, la guirlande de fleurs, éloignant ainsi la sculpture de l’allégorie, pour ne laisser voir que le geste suspendu dans l’air. Cette attention confère un sens nouveau à l’œuvre, devenant une réflexion sur la forme mise en espace.
Postérité des Trois Nymphes de la prairie
Si à l’exposition des « Maîtres de l’art indépendant » en 1937, Maillol exposa un plâtre inachevé (il manquait une main à l’une des nymphes), il reçut très rapidement des commandes pour des tirages en métal, témoignant ainsi de sa réputation internationale.
Le premier musée à demander une fonte en plomb fut la Tate Gallery de Londres, dès 1939, suivie du Kunstmuseum de Berne en 1947, et du Minneapolis Museum en 1949. Les Trois Nymphes de la prairie figurent également parmi les sculptures données à l’Etat en 1964 par Dina Vierny et Lucien Maillol, soutenus par André Malraux, pour orner les Jardins du Carrousel. La composition séduisit également les collectionneurs privés, notamment Lucille Ellis Simon – l’épouse de Norton Simon – qui fit don de sa sculpture à la National Gallery de Washington en 1991. L’exemplaire en bronze du Musée Maillol est une épreuve d’artiste achetée par Dina Vierny en vue de l’ouverture du Musée Maillol en 1995.
Œuvre emblématique de Maillol et une des dernières grandes compositions achevées de sa carrière, sept ans avant sa mort accidentelle, l’œuvre résume ses principes esthétiques : le travail du corps féminin, entre plénitude des formes et silhouettes linéaires, tout en constituant un dépassement de ses acquis.
La modernité des Trois Nymphes de la prairie frappa ses contemporains. Particulièrement élogieux, Henri Frère affirma que « rien dans l’art moderne ne peut produire une impression plus profonde que la vue de cette calme assemblée de grandes formes, toutes parlantes et accomplies. Chacune était une pensée distincte. Toutes respiraient la puissance, la grâce unie à la grandeur, et une naïve et divine poésie. »
La forme libre de Maillol et son approche innovante influencent les artistes de la génération suivante. Dix ans après sa création, Henri Moore proposa, pour décorer le « Battersea Park » de Londres, une version corpulente et ancrée des Nymphes dans la prairie, poussant à son paroxysme « l’architecture vivante » de Maillol.
Bibliographie :
Jean Girou, sculpteurs du Midi, Floury, 1938.
André Chénier, Œuvres complètes, Librairie Ch. Delagravé, 1907.
Bernadette Contensou, Paris 1937, l’Art Indépendant, catalogue de l’exposition, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 12 juin-30 août 1987.
Thierry Dufrêne (dir.), Maillol héritage, catalogue de l’exposition, Galerie Dina Vierny, 15 avril-25 juin 2022.
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