24.05.2024
En 2024, la cinquième édition du festival « Normandie Impressionniste » commémore le 150e anniversaire de la première exposition impressionniste de 1874. Lancé en 2010, ce festival met en avant des thématiques liées à ce grand mouvement artistique et à son époque. Pour cette édition exceptionnelle, le Musée des Beaux-Arts de Rouen consacre son projet à l’œuvre du peintre américain James Abbott McNeill Whistler (1834-1903), reconnu comme l’un des précurseurs de l’impressionnisme.
L’exposition « Whistler et l’Europe : l’effet papillon » explore un phénomène artistique majeur de la fin du XIXe et du début du XXe siècle : le Whistlerisme. En Europe et aux États-Unis, les artistes éxécutent de plus en plus de paysages nocturnes et de portraits, reflétant l’influence significative des recherches plastiques de Whistler.
Parmi les œuvres exposées, on retrouve le « Portrait de Tante Lucie » d’Aristide Maillol, prêté par la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol. Ce tableau de grande dimension, réalisé en hommage à sa tante bien-aimée, reflète la profonde gratitude de Maillol envers cette femme au grand cœur qui l’a élevé, soutenu financièrement dans sa carrière artistique et l’a même désigné comme légataire. Marraine et mère de substitution, elle occupe une place centrale dans la vie de l’artiste. Dans cette peinture intime, Maillol lui exprime sa reconnaissance avec émotion. Le portrait montre tante Lucie assise, les mains posées sur ses genoux, dans une posture méditative. Son profil austère se détache sur un fond aux contours adoucis. Si la ressemblance de l’œuvre avec son modèle est frappante, le tableau donne aussi à voir la dimension psychologique du personnage de manière intense.
Il est probable que Maillol se soit inspiré du célèbre portrait de la mère de Whistler, acquis par l’État français pour le musée du Luxembourg en 1891. Les deux compositions présentent plusieurs similitudes : tante Lucie, comme la mère de Whistler, est assise sur un fauteuil, sa silhouette mince vêtue d’une robe gris anthracite contraste avec un fond aux teintes pâles. Sa tête aux traits sévères est serrée dans une étroite coiffe de mousseline transparente.
Cependant, Maillol réinterprète le titre original de l’œuvre de Whistler, « Arrangement en gris et noir », en optant pour une vision plus lumineuse et colorée. En inversant la direction de la figure de profil, il met également en valeur le paysage modestement encadré dans le fond du tableau de Whistler. Derrière Lucie, il mêle des jaunes à des verts tendres, évoquant les paysages de Banyuls, cadre de son enfance. Sa maison d’enfance, « tout simplement rose » comme Maillol le précisait, se trouvait en haut d’un jardin touffu dont l’ornement principal était un grand pin aux branches tortueuses.
Malgré la similitude apparente des paysages, « La Tante Lucie » ne représente pas une vue depuis la terrasse de la Maison Rose, comme on pourrait le croire au premier abord. Il s’agit, en réalité, de la vue d’une autre maison, construite en 1880 et encore visible de nos jours, située à proximité de la gare de Banyuls et de l’église de la Rectorie. Cette maison conserve encore aujourd’hui ses lucarnes ovales caractéristiques, donnant sur la terrasse qui surplombe la vallée. C’est probablement à cet endroit que la tante de Maillol a été peinte, et un tableau de Rippl-Rónai, qui a également immortalisé cette demeure, en apporte la preuve.
Le peintre hongrois Rippl-Rónai, membre du groupe des Nabis et ami de Maillol, l’a peinte lors de son séjour à Banyuls en 1899 avec une grande précision : même vue de la vallée, même paysage, même petite maison au loin à gauche dans le tableau chez Rippl-Rónai et à droite chez Maillol. Le lien géographique, amical et artistique étroit entre les deux hommes a conduit à une confusion parmi les spécialistes quant au titre de la peinture de Rippl-Rónai. Pendant longtemps, son tableau a été intitulé « La Maison de Maillol », bien qu’il ne représente pas la maison du sculpteur. Cette erreur de transcription, systématiquement reprise a entraîné une confusion durable.
Retournons à l’exposition sur le Whistlerisme et concluons ce cycle artistique impliquant Rippl-Rónai, Maillol et Whistler avec le saisissant portrait « Ma Grand-mère » de Rippl-Rónai. Bien que ce tableau ne soit pas présenté à l’exposition, le dialogue des œuvres incite à se rappeler également de cette scène: la grand-mère de Rippl-Rónai, assise dans sa maison de Neuilly, au bord d’un fauteuil, les mains posées sur les genoux, faisant face au spectateur.
En revanche, le « Portrait de ma mère » de Jean-Paul Laurens figure bel et bien dans l’espace d’exposition. Sa juxtaposition avec « Tante Lucie » de Maillol met en valeur la palette de couleurs vives et le rouge éclatant qui en ressortent. Ce contraste marquant capte immédiatement l’attention du spectateur, invitant à une observation plus minutieuse et révélant ainsi l’essence commune des deux compositions.
La proximité des sujets est accentuée par la pose de profil identique des deux femmes, se faisant face comme si un miroir les séparait, ce qui ajoute un degré étroit d’intimité entre les œuvres. L’influence de « La mère de l’artiste » de Whistler sur les travaux de Rippl-Rónai et de Jean-Paul Laurens est indéniable, mais il est également crucial de reconnaître Maillol comme une source d’inspiration avec son tableau de Tante Lucie.
Ainsi, les points de croisement entre ces artistes témoignent de l’influence profonde et durable de Whistler sur leurs compositions, enrichissant le paysage artistique de cette époque et stimulant notre imagination aujourd’hui.
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Musée Maillol, 2021
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