04/07/2025
Cet été, le Donjon de Vez accueille une rétrospective inédite consacrée à Robert Couturier (1905–2008), dernier témoin d’une génération de sculpteurs humanistes marquée par les bouleversements du XXe siècle. L’exposition La Poésie des corps réunit près de vingt sculptures monumentales et grandeur nature dans un dialogue vibrant entre architecture médiévale et modernité sculpturale au sein du jardin et salles du Donjon.
Une œuvre au souffle large, à l’ombre du Donjon
Dans le silence du Donjon de Vez, au creux de ses pierres séculaires, les œuvres de Robert Couturier prennent une épaisseur particulière. L’exposition La Poésie des corps ne se contente pas de présenter une vingtaine de sculptures : elle donne à voir, à ressentir, le cheminement d’un artiste qui a fait du corps — féminin en particulier — son motif premier, mais jamais figé.
Couturier n’a cessé de renouveler sa manière de sculpter, au point qu’aucune de ses œuvres ne ressemble tout à fait à une autre. Certaines sont pleines, charnelles, comme Le Dos d’une blonde (1983) ou La Savonnette (1994), d’un galbe ample et sensuel hérité des canons classiques. D’autres sont creusées, évidées, étirées, comme si la matière cherchait à respirer. L’artiste parle alors de « forme ouverte », une forme qui laisse l’air, la lumière, le regard circuler.
Ce qui fascine chez Couturier, c’est ce refus de choisir une voie unique. Il alterne les matériaux — bronze, pierre, plâtre, assemblages — et les modes d’expression : du trait lisse au geste fragmenté, de la ronde-bosse aux sculptures à l’équilibre précaire. Il revendique une « anti-sculpture », non par rejet du passé, mais pour ouvrir d’autres possibles, plus allusifs, plus sensoriels, plus vivants.
Son œuvre, à la fois lisible et troublante, convoque un rapport actif du spectateur. Le regard n’effleure pas : il entre dans l’œuvre, en devient partie prenante. Au cœur du Donjon, ce jeu entre intérieur et extérieur, entre surface et souffle, devient saisissant. L’art de Couturier, c’est celui du vide qui sculpte la forme, du silence qui devient présence.
La rencontre entre Robert Couturier et Aristide Maillol, en 1928, est fondatrice. Le jeune homme, tout juste sorti de ses études de lithographie, se présente au Prix Blumenthal. Maillol, membre du jury, est intrigué. Il dira être séduit par ce qu’il appelle l’aspect « mal foutu » de la sculpture de Couturier — une maladresse féconde, un déséquilibre prometteur. Il le prend sous son aile. De cette rencontre naîtra une relation de maître à élève, puis d’amitié, marquée par l’admiration et la complicité.
Les premières œuvres de Couturier portent la trace visible de cette filiation : volumes larges, sensualité du nu féminin, recherche d’un équilibre presque classique. Mais dès la mort de Maillol en 1944, le besoin d’émancipation se fait pressant. Couturier affirme vouloir faire de l’« anti-Maillol ». Non pas dans une posture de rupture radicale, mais comme une nécessité intérieure. Là où Maillol magnifie la forme pleine et close, Couturier va chercher l’ouverture, l’espace intérieur, l’ombre qui sculpte autant que la lumière.
Il devient, en quelque sorte, le dernier représentant de cette grande génération de sculpteurs français qui, dans les années 1940–50, ont choisi de réinventer la figure humaine. Aux côtés de Giacometti ou Germaine Richier, Couturier participe à un renouveau plastique fondé sur l’humain, sur la fragilité, sur l’allusion. Ses œuvres traversent les grandes biennales internationales — Venise, São Paulo, Anvers — affirmant une esthétique résolument française mais ouverte sur le monde.
S’il hérite d’un certain classicisme méditerranéen via Maillol, Couturier n’en fait jamais un carcan. Au contraire, il le traverse, le transforme, l’étire jusqu’à lui donner une forme nouvelle. Il est à la fois le dépositaire d’une tradition et l’inventeur d’un langage où les pleins et les creux, les masses et les silences, coexistent sans hiérarchie.
La Poésie des corps ne nous montre pas seulement un sculpteur, mais un regard. Celui d’un homme qui, pendant près d’un siècle, n’a cessé d’interroger la forme humaine, non pour la figer, mais pour en faire vibrer les tensions, les écarts, les absences.
Dans le décor si particulier du Donjon de Vez, les œuvres de Robert Couturier révèlent toute leur puissance discrète. Elles nous parlent d’un temps révolu, certes, mais aussi d’un corps toujours actuel, instable, ouvert, offert à l’interprétation.
Et si cette exposition marque le retour sur le devant de la scène d’un artiste longtemps resté dans l’ombre, c’est aussi parce qu’elle dit quelque chose de notre époque : le besoin d’un art qui suggère plutôt qu’il n’impose, d’une beauté qui laisse place au doute, d’un geste sculptural qui touche sans enfermer.
Robert Couturier, dans le silence de son atelier, a su faire de la sculpture une langue vivante, une langue libre. Et cette exposition nous rappelle qu’il est grand temps de l’écouter.
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