04/07/2025
Dans la lumière méditerranéenne de Banyuls-sur-Mer, entre mer et cyprès, s’ouvre une exposition aussi intime que bouleversante. Harmonie. L’œuvre ultime revient sur les quatre années (1940–1944) qu’Aristide Maillol consacre à sa dernière grande sculpture, restée inachevée à sa mort. Malgré son triste sort, Harmonierejoint ses sœurs parmi le panthéon des chefs-d’œuvres sculptés d’Aristide Maillol, se trouvant dans des musées aux quatre coins de la planète, aux Etats-Unis, en Israël, au Japon, et bien sûr à la mairie de Banyuls-sur-Mer. L’histoire derrière ce fameux bronze a même inspiré le film franco-espagnole « L’artiste et son modèle », interprété par Jean Rochefort et Claudia Cardinale en 2012.
Cette statue, conçue dans l’isolement de la vallée de la Roume, au cœur des tumultes de la Seconde Guerre mondiale, scelle à jamais le lien entre le sculpteur octogénaire et sa jeune muse engagée, Dina Vierny.
Bien plus qu’un hommage, l’exposition au Musée Maillol de Banyuls se veut une enquête plastique, historique et affective. On y découvre les différents états de la sculpture, les dessins, les recherches formelles, mais aussi les lettres, les archives, les absences et les silences. Car Harmonie, derrière sa douceur silencieuse, raconte une histoire de guerre, d’attente et de beauté menacée.
Un atelier en temps de guerre
La première partie de l’exposition plonge le spectateur dans l’univers même de l’atelier, dans la genèse et les recherches perpétuelles de Maillol. On y
découvre le torse initial, les nombreuses esquisses dessinées avec leurs infinies variations et des archives inédites. Il s’agit d’une introduction au cadre de la création de cette statue : le métairie dans la montagne.
En 1939, Maillol quitte Paris pour se retirer à Banyuls. Il entame alors un projet qu’il qualifie lui-même d’exceptionnel : une sculpture grandeur nature, modelée directement d’après le corps vivant de Dina Vierny. Pour la première fois, il souhaite « être plus réaliste, plus vivant que pour tout ce [qu’il a] fait jusqu’ici ». Dina devient alors une présence quotidienne à la « maison rose » ou au mas isolé dans les collines, posant pour d’innombrables dessins, peintures, études de torses, de têtes, de pieds.
Mais autour de ce calme apparent, le monde se défait. Dina, loin d’être une muse docile, est déjà engagée dans les réseaux de résistance. Elle traverse les villes, aide des réfugiés à fuir l’occupant, chante dans un cabaret marseillais, et finit par être arrêtée à Paris en 1943. Maillol, inquiet, écrit à ses contacts : « Il y va de la survie de ma statue si on ne me la rend pas ». Il mobilise même Arno Breker, sculpteur officiel du régime nazi, pour obtenir sa libération. Le retour de Dina en novembre 1943 permet enfin au sculpteur de reprendre son travail, mais le temps presse. Maillol meurt dans un accident de voiture en septembre 1944. Dina, à nouveau à Paris, participe alors à la Libération.
La seconde partie de l’exposition s’intéresse ensuite au résultat de ces 4 années de labeur, présentant la sculpture, telle qu’elle était au décès de Maillol, avec ses différents états, qui sont autant de recherches que le maître n’aura malheureusement pas réussi à achever pendant ces années de guerre.
Quatre versions sculptées de Harmonie sont présentées dans l’exposition, toutes privées de bras. Ce n’est pas un effet de style : Maillol avait prévu que la main droite viendrait soutenir le sein gauche, dans un geste intime et symbolique. « Elle sera quelque chose comme le symbole d’une rose », confiait-il à l’historien John Rewald, qui assista aux séances de pose. C’est d’ailleurs Rewald qui suggéra le titre final : Harmonie.
Cette absence de bras, loin d’appauvrir la figure, lui confère une tension inédite. Elle symbolise l’inachèvement, la fragilité du projet, mais aussi la quête inextinguible d’équilibre. Le corps, doucement sinueux, semble arrêté dans un mouvement suspendu. La tête penchée, légèrement souriante, rappelle les figures d’Asie du Sud-Est que Maillol admirait dans les Expositions Universelles. L’inspiration extrême-orientale imprègne l’œuvre, autant que l’héritage de Cézanne : formes pures, volumes synthétisés, équilibre rigoureux.
Maillol écrit : « C’est la statue la plus serrée, la plus près de la nature que j’ai faite. » Il n’y a rien d’anecdotique ici, rien de décoratif. Juste un corps debout, humain, vulnérable, porteur d’une promesse de paix au milieu du chaos.
« J’aimerais être pour cette oeuvre, plus réaliste, plus vivant que pour tout ce que j’ai fait jusqu’ici. »
– Aristide Maillol
L’exposition du Musée Maillol révèle ainsi que Harmonie n’est pas un adieu serein, mais une œuvre de lutte intérieure, une forme de résistance esthétique. Le contraste entre le silence de la sculpture et le tumulte de sa genèse est saisissant. L’exposition donne à voir cette tension : entre la douceur du modelé et la violence du contexte ; entre l’introspection de Maillol et la fougue de Dina ; entre l’ordre plastique recherché et l’impossibilité d’atteindre une totalité.
L’ultime carnet de notes de Maillol, exposé ici pour la première fois, contient quelques mots adressés à Dina. Il croyait qu’elle avait de nouveau été arrêtée. Même à l’aube de sa mort, le sculpteur semblait croire qu’il fallait encore « la libérer pour continuer la statue ». Ce lien entre eux, fait d’admiration mutuelle, de confrontation et d’amitié profonde, innerve toute l’exposition.
À travers un parcours resserré mais d’une grande densité, l’exposition nous ramène à l’essentiel : une sculpture, un lieu, un lien humain. Le prêt exceptionnel de la Harmonie conservée dans les jardins de la mairie permet au public de la redécouvrir dans son berceau originel. La scénographie, sobre et méditative, restitue la chaleur d’un atelier perdu dans la garrigue, les feuilles crayonnées épinglées aux murs, les recherches obstinées du maître octogénaire. Les voix de Maillol et Dina s’y font entendre, presque.
« C’est mon portrait, et c’est son testament », disait Dina Vierny. Ce nu sans bras, inachevé, est peut-être la plus parfaite expression de l’art de Maillol. Il incarne une idée du beau que rien, pas même la guerre, ne peut abolir. Harmonie n’aura pas de bras, mais elle étreint tout de même — l’histoire, la douleur, le désir, et cette quête indéfectible d’un monde en équilibre.
Harmonie, inachevée, n’a pas eu le temps de devenir ce que Maillol projetait — mais c’est peut-être précisément ce qui fait sa force. Cette œuvre ultime, fruit de quatre années de lutte et d’attente, semble résumer tout ce qui anime le sculpteur : la recherche de la forme pure, le dialogue avec le vivant, le besoin de paix au cœur du tumulte. En mettant en lumière la complexité de cette création — sa beauté formelle, son histoire mouvementée, son lien indéfectible avec Dina Vierny — l’exposition nous rappelle que l’harmonie véritable n’est pas l’absence de désordre, mais la capacité à faire surgir la grâce, même dans les fractures du monde.
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DECOUVRIRMusée Maillol, 2021
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Musée Maillol, 2021
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Musée Maillol, 2021
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